Cette étude concerne des vins rouges et rosés essentiellement du millésime 2018, soutirés après fermentation malolactique. Ces vins ont été prélevés avant et après traitement dans des domaines et des caves coopératives situés dans le Sud Drôme - Nord Vaucluse. Les volumes des cuves considérées vont de 150 à 6500 hectolitres.
1) Choix de la méthode d’analyse
Les techniques d’analyses microbiologiques ainsi que les connaissances sur les micro-organismes ont grandement évolué ces dernières années.
Il est désormais connu que toute population de micro-organismes est composée de trois sous-populations dont l’état physiologique est différent. Au sein d’une population on distingue ainsi des cellules mortes, des cellules vivantes et des Cellules Viables non Cultivables (VNC). Si les états morts ou vivants sont simples à comprendre, l’état VNC mérite d’être expliqué. Il s’agit d’une réponse du micro-organisme à un stress. Le SO2, par exemple est un facteur de stress. Ce stress va induire une baisse de vitalité chez le micro-organisme, empêchant sa croissance sur les milieux de culture en boite de Petri. Ce stress peut être tel qu’il va aboutir à la mort de micro-organisme mais dans certains cas, une fois le facteur stressant disparu, le micro-organisme peut revenir à un état physiologique vivant et retrouver l’intégralité de son potentiel de croissance.
La connaissance de ces différents états a permis le développement de nouvelles techniques d’analyse aptes à détecter et dénombrer les micro-organismes selon leur état physiologique mais a également permis de mieux connaître les forces et faiblesses des techniques actuelles (Tableau 1).
Tableau 1 : Comparaison des techniques de numération des micro-organismes en fonction de leur état physiologique.
Il est donc nécessaire de disposer d’une technique rapide, pour plus de réactivité, et permettant l’évaluation juste et précise du risque, en prenant en compte les micro-organismes en états vivant et VNC. Les cellules mortes ne présentent plus de risque pour le vin. Les deux techniques appropriées sont donc les numérations par épifluorescence et par vPCR. La vPCR est une technique qui a déjà été présentée dans l’article suivant : Brettanomyces : déterminer le risque réel par une nouvelle méthode d’analyse fiable, rapide et efficace, la vPCR.
La vPCR n’ayant pour l’instant été développée que pour le suivi des populations de Brettanomyces, notre choix s‘est porté sur la technique d’épifluorescence, capable de détecter les populations de levures et bactéries, sans distinction de genre/espèce. La boîte de Petri, technique la plus largement répandue à l’heure actuelle, ne permet pas une totale évaluation du risque puisque ne dénombrant pas les cellules en état VNC. Ainsi l’épifluorescence dénombre en moyenne 800 fois plus de levures et 400 fois plus de bactéries que la boîte de Petri.
L’épifluorescence consiste à additionner une molécule fluorescente à un échantillon de vin. Cette molécule ne va rentrer que dans les cellules viables (vivantes ou VNC). Les micro-organismes devenus fluorescents sont alors comptables avec un microscope adapté (Figure 1).
Figure 1 : Photographie de micro-organismes marqués en épifluorescence.
2) Efficacité microbiologique comparée des techniques de clarification
Les résultats de cette étude sont présentés sous forme de facteurs de réduction. Cette valeur est établie en comparant les populations avant et après traitement. Concrètement, un facteur de réduction de 10 signifie une division par 10 des populations, un facteur de réduction de 10000 signifie une division par 10000, etc.
2.1) Micro-filtration tangentielle
La technique de micro-filtration tangentielle a mis du temps à s’implanter dans le milieu du vin, mais elle est désormais largement répandue et reconnue pour son efficacité. Une vingtaine de comparaisons ont été réalisées sur des vins filtrés en caves coopératives et par prestation au domaine. Les filtres employés sont des filtres organiques et céramiques. Pour une meilleure compréhension, les résultats sont présentés sans distinction du type de filtre, car d’après nos essais, cela n’influe pas sur l’efficacité de filtration.
Tableau 2 : Facteurs de réduction microbienne par micro-filtration tangentielle
L’amplitude des valeurs est très importante, autant sur les populations de levures que de bactéries. Dans certains la population est très peu réduite, avec une division des populations par 6 à 8, alors que dans d’autres cas l’efficacité est très importante avec une division des populations par 40000 à 60000.
Ces amplitudes sont parfois relevées au sein d’une même cave, indiquant alors une efficacité différente selon la cuve filtrée. Les réductions supérieures à 40000 ont été relevées autant sur des vins filtrés sur membrane céramique que sur membrane organique. Le type de filtre n’est donc pas une explication des différences mesurées. Plusieurs paramètres en revanche sont à prendre en compte : la charge microbiologique initiale peut avoir une influence sur l’efficacité de filtration, mais surtout, une hygiène insuffisante en sortie de filtration peut provoquer des recontaminations.
Ces résultats montrent que l’analyse apporte beaucoup de renseignements sur la charge microbiologique effective. Souvent pratiquée à l’aveugle, c’est-à-dire sans analyse microbiologique à l’appui, la micro-filtration tangentielle peut parfois s’avérer insuffisante pour réduire de façon significative les populations de micro-organismes. Par exemple, si la charge microbiologique est supérieure à 100000 levures ou bactéries/mL, il restera tout de même une faible population après filtration. En connaissant précisément la charge microbiologique avant et/ou après filtration par analyse, il est possible de savoir si la réduction de population est suffisante ou s’il est nécessaire de procéder à une seconde filtration.
2.2) Centrifugation
Cette technique est plutôt réservée aux caves coopératives qui sont souvent équipés de centrifugeuses. 15 vins ont ici été analysés et comparés.
Là encore, de grandes disparités existent selon les caves et les cuves. La technique peut être très efficace sur les levures, avec une division des populations par plus de 100000, mais le sera beaucoup moins sur les bactéries (Tableau 3).
Tableau 3 : Facteurs de réduction microbienne par centrifugation
La centrifugation est souvent utilisée en clarification précoce et cet objectif est parfaitement atteignable au vu des résultats obtenus. L’impact sur les bactéries reste faible du fait du principe de la technique : étant basée sur la gravité, seules les levures, environ 10 fois plus grosses que les bactéries sont correctement éliminées.
2.3) Filtration sur plaque
Nos essais nous ont permis de comparer 4 porosités différentes pour une dizaine de vins filtrés. Il est intéressant de comparer les résultats en fonction de la porosité des plaques (Figure 2).
Figure 2 : Facteurs de réduction microbienne en fonction de la porosité.
Comme attendu, l’efficacité de filtration décroît lorsque la taille des pores augmente. Quelques nuances peuvent toutefois être apportées. Dans cet essai, l’élimination des levures s’est avérée aussi efficace à 0,65 µm qu’à 3,6 µm. Les facteurs de réduction chutent drastiquement à 4µm. Concernant les bactéries, on a presque une décroissance linéaire en fonction de la taille des pores. Mais nous avons mesuré une meilleure réduction à 1,2 µm qu’à 0,65 µm. Ce résultat vient illustrer que l’efficacité de la filtration plaque ne peut se résumer à une simple taille de pores. La conduite de la filtration a également un impact très fort. Le fait de limiter la pression permet d’optimiser l’efficacité de filtration : cela explique qu’il est possible d’atteindre de très bons facteurs de réduction des bactéries à 1,2 µm. L’inconvénient est que la filtration sera parfois beaucoup plus lente, cela étant lié à la faible pression.
2.4) Collage
Trois gélatines différentes ont été employées pour une vingtaine de comparaisons différentes. L’efficacité est variable sur les levures (Tableau 4), mais dans tous les cas, nous n’avons pas noté de réduction notable des populations bactériennes. Deux des gélatines divisent les populations de levures par des valeurs proches de 1000. Une telle réduction constitue une aide précieuse pour atteindre un vin pauvre en micro-organismes et ainsi maximiser l’efficacité d’une filtration avant mise.
Tableau 4 : Facteurs de réduction microbienne par collage à la gélatine
Conclusion
LACO s’est donné les moyens pour proposer des méthodes d’analyse au plus juste du risque réel. L’épifluorescence permet ainsi de quantifier en 24H les levures et bactéries vivantes ou en état VNC. Cette technique est donc particulièrement adaptée à la quantification de la charge microbienne après toute technique de clarification, et ce, particulièrement avant mise en bouteilles. Embouteiller des micro-organismes pouvant avoir des conséquences fâcheuses, connaître les populations avant mise et/ou après filtration est une information précieuse et très complémentaire des résultats d’analyses œnologiques. Par exemple, en cas de population microbienne élevée avant mise, une étape supplémentaire de filtration permettra d’éviter l’apparition de troubles ou dépôts en bouteilles.
Les différentes techniques de clarification ont des efficacités différentes. La micro-filtration tangentielle peut donner d’excellents résultats en terme de réduction des populations microbiennes, mais l’hygiène en sortie de filtration est capitale. Cette remarque est d’ailleurs vraie quelle que soit le type de méthode de clarification. La centrifugation est surtout efficace sur les populations de levures, réservant cette technique aux vins en sortie de vinification. La filtration sur plaque peut être d’une grande efficacité. Le choix de la porosité est déterminant, tout autant que la conduite de la filtration. Enfin le collage peut se montrer un excellent moyen pour réduire les populations, même si dans notre essai, ce sont surtout les populations de levures qui sont impactées.
Enfin, cet essai met en évidence la complémentarité de ces différentes techniques de clarification. Si certaines comme la centrifugation sont réservées à un usage particulier, d’autres comme la micro-filtration tangentielle ou la filtration sur plaques peuvent être très polyvalentes sous réserve de bien connaître leur potentiel et leur limite. Il faut ainsi être strict sur les conditions d’hygiène après filtration pour bénéficier de sa pleine efficacité en évitant les recontaminations après filtration. Et une filtration plaque à 4 µm ne sera que dégrossissante et ne pourra atteindre la même efficacité qu’une filtration à 0,65 µm ou 1,2 µm.
Laurent MASSINI
Microbiologiste
E mail : l.massini@laco-laboratoire.com